Je n’ai pas toujours eu mauvais caractère. Quand j’étais gamine, on me qualifiait de toutes sortes de surnoms stupides comme « princesse » ou « petite précieuse ». A vrai dire, j’étais tout ce qu’on pouvait attendre d’une petite fille bien élevée. Je ne mettais pas mes coudes sur la table, je disais « s’il vous plait » et « merci », et, bien entendu, j’écoutais avec passion les histoires où le bien l’emportait toujours. En y réfléchissant, je ne peux m’empêcher de soupirer d’exaspération. Si seulement la vie était aussi simple. Bien entendu, le conte de fée fini toujours par prendre fin. En l’occurrence, c’est ce qui s’est passé lorsque je suis devenue une femme. Ma biographie a eu une influence telle que j’ai fini par m’isoler de tout le monde. J’ai dû devenir une forte tête pour surmonter les défis du quotidien. Répliques cinglantes lorsqu’on m’adresse la parole malgré moi, un sourire éternellement inexistant sur mon visage, et une folle envie de frapper quiconque m’importune constituent ma malédiction. En lisant ces quelques lignes, certains se diront sûrement qu’il est impossible qu’aucune faille n’existe, que rien ne puisse me toucher ou m’émouvoir. Sur ce, je dirai qu’ils n’ont probablement pas tort. Ma famille à le pouvoir de tout changer. Bien sûr que je les aime. Mais, proche de moi, personne n’est en sécurité. C’est l’amour qui guide mes actes depuis ces quelques dernières années. Voilà ma faille. Merci de l’ignorer.

Je ne suis pas si petite pour une fille. En effet, du bout de mes 1 mètre 75, je peux admirer le sommet des crânes chauves du sexe « fort ». Si j’avais été au bal de promo au lycée, mon compagnon aurait eu intérêt à sortir de l’équipe de basket. Quoique. Cela aurait été plus dangereux de leur marcher sur les pieds. Mes yeux bleus ont fait chavirer plus d’un cœur lorsque j’étais à l’école primaire et au collège. Bien sûr, aucun de ces gamins n’a eu la chance de provoquer une quelconque réciprocité. J’ai toujours trouvé ça drôle de mener les garçons en bourrique. Mes cheveux sont sombres et longs. Souvent, je les laisse tomber en cascade ondulée sur mes épaules. J’en prends soin mais je ne passe pas mon temps à les brosser. D’ailleurs, le temps que je consacre à un « camouflage facial » est très peu conséquent. A quoi bon se transformer en pot de peinture lorsque, de toute manière, je n’ai aucune envie de parler à quelqu’un ? Quant à ma garde-robe,  je dois avouer qu’on n’y trouve aucune couleur. Elle est principalement constituée de nuances de gris. Après tout, le noir reflète la solitude non ?

Keira Fawkes. C’est ainsi que mes parents m’ont nommé il y a de ça dix-huit longues années. J’ai toujours trouvé mon prénom un peu bizarre. Pourtant je ne suis pas l’unique personne à le porter. Je ne sais pas s’il a une signification particulière. Il me semble pourtant avoir entendu quelqu’un en parler alors que j’étais toute petite. Ma grand-mère peut-être. Agathe Fawkes. Si mes souvenirs sont exacts, ce prénom correspond à une personne insensible, méfiante et impulsive. Tout à fait moi. Du moins ce que je laisse paraître.

Je ne vais pas vous assommer en parlant de mes premières années. Je vous évite l’affront de tartiner des lignes et des lignes sur la manière dont j’habillais ma poupée Barbie, ou encore comment je m’y prenais pour faire de la corde à sauter en robe, tout en évitant de montrer ma culotte à mes camarades de classe.

Avant que ma vie bascule, je n’ai jamais eu l’occasion d’avoir un petit ami comme toutes les jeunes filles de mon âge. Non pas que j’étais repoussante ou je ne sais quoi. Cela est dû au fait que j’ai un grand-frère, à peine plus vieux que moi, qui s’est toujours montré très protecteur. Je n’imagine même pas ce qui serait arrivé si j’avais eu un copain ! Sûrement aurait-il subit un long discours ennuyeux qui se serait résumé, avec mes propres mots, à : « si tu fais souffrir ma sœur je te tue ». De plus, il est croyant. C’est-à-dire que « pas de sexe avant le mariage » m’a longtemps été rabâché. Mes parents n’étaient évidemment pas différents de lui. Eux aussi disaient ce genre de choses et tenaient à faire je ne sais combien de prières par jour. A croire que le fruit ne tombe jamais bien loin de l’arbre. Je dois donc être un fruit pourri. Pour moi, tout ça c’est des conneries. Bien que je ne sois pas pour le libertinage, je doute qu’il existe quelqu’un qui prenne le temps de tous nous observer avec un calepin pour prendre en note tous nos « pêchés » divers et variés.

Mis à part cette différence d’opinion, ma vie était simple et ordinaire. Jusqu’à ce jour où un drame s’est produit. Je ne peux pas dire qu’il n’y ait pas eu de prémices à ce dernier les années qui ont précédés. Cela a commencé lorsque je suis biologiquement devenue une femme. Cela se résumait alors uniquement à de brèves hausse de température lorsque je me mettais en colère. Je n’y portais pas réellement attention, après tout la pièce ne gagnait qu’un ou deux degrés et il m’a fallu beaucoup de temps pour m’en rendre compte. Je pensais alors que j’hallucinais, que ma rage me faisait divaguer. Pourtant, il y a plus d’un an de cela, alors que j’entrais tout juste au lycée, j’ai eu une violente dispute avec mon paternel. Une broutille sans réel intérêt. Je mettrais ça sur le dos de l’adolescence et du refus d’un adulte de se rappeler de cette période antérieure de sa vie. Il m’a pris à fumer ma première clope. Quelle ironie quand on y pense. J’en avais assez de ses serments bibliques et moraux qu’il me lançait à la figure depuis au moins une bonne heure. Les voisins ont sûrement dû croire que j’avais tué quelqu’un. Nous étions seuls à la maison, ce qui n’a pas aidé les choses à se tasser avant qu’il ne soit trop tard.

Mon père était rouge à force de crier, et je devais l’être tout autant. On se battait verbalement comme des chiffonniers. Tout a dérapé quand il m’a annoncé ma punition. A peine ai-je eu le temps de lui dire que je le détestais qu’il a inexplicablement commencé à suffoquer. Au départ je croyais qu’il cherchait à me faire peur d’une manière étrangement tordue de sa part. Mais au bout de quelques secondes je me suis prise à penser qu’il était en train de faire une crise cardiaque. Je me suis alors élancé vers lui avant de reculer de plusieurs pas. L’air tout autour de lui était brûlant. Je compris alors qu’il était en train de s’étouffer, malgré le fait qu’il n’y avait pas de fumée ni de flammes apparentes. C’est ainsi que je l’ai regardé mourir sans pouvoir faire quoique ce soit. Cet événement me reste encore inexpliqué, mais j’ai immédiatement compris que cela avait un rapport avec les montées de chaleur déclenchées lors de mes rares crises d’hystérie. La température ne descendit que lorsque mon père cessa définitivement de bouger. Complètement sous le choc, il me fallut quelques secondes pour pouvoir bouger et me mettre à pleurer. J’étais encore au-dessus de mon père, sa tête posée sur mes genoux alors que j’étais agenouillée, lorsque ma mère et mon frère découvrirent la scène.

Face à leurs mines terrifiées, j’ai alors pris mes jambes à mon cou. Courant dans ma chambre, j’ai saisi un vulgaire sac de sport dans lequel je glissais quelques fringues et accessoires. Mon frère tambourinait à ma porte verrouillée. Je sautais donc du premier étage par ma fenêtre pour ne jamais revenir. Je n’ai pas eu le courage de me confronter à eux depuis ce jour. J’ai assisté à l’enterrement de mon père, dissimulée dans un arbre, là où personne ne pourrait me voir. L’autopsie a évidemment prouvé mon « innocence ». Je ne sais pas ce que les médecins ont pu conclure de l’accident. Une sorte de combustion spontanée peut-être ? En tous les cas, je sais que ma famille a tenté de me retrouver les premiers mois. Ils ont fini par renoncer désormais. Du moins je le pense.

Quant à moi, j’occupe désormais un appartement insalubre qui n’a même pas d’électricité. Heureusement, il y a l’eau courante. San Francisco ne m’a jamais paru aussi miteux que depuis mon aménagement ici. Isolée de tous, je suis ainsi sûre de ne blesser personne. Lorsque je suis au contact d’autrui, je ne peux m’empêcher d’être désagréable. De cette manière ils me fichent la paix et ne s’attachent pas à moi. J’ai plusieurs fois été agressée par des gros bras alcoolisés, mais bien souvent ils renoncent avant que les choses dégénèrent. Je fais d’ailleurs suffisamment d’exercices pour pouvoir me défendre toute seule en cas de pépin. Cela limite toute apparition de torche vivante. Lorsque je m’ennuie, je m’essaie au lancer de couteau. En espérant ne jamais en avoir besoin. Ma nourriture est constituée uniquement de fruits et de légumes qui n’ont pas besoin d’être maintenu au frais ou d’être chauffés. Pour me payer à bouffer, je donne un coup de main à un barman du coin pour le ménage. De cette manière, il économise un salaire normal et ne perd que l’argent nécessaire pour que je ne meure pas de faim. Inutile de préciser que je ne sais même pas comment il s’appelle. Et cela est tout aussi valable dans l’autre sens.

La solitude contre la sécurité des individus. C’est un bon deal non ?

Je n’ai pas encore la maitrise de mes pouvoirs. A vrai dire, j’ignore même que je suis une sorcière. Je ne parviens tout simplement pas à donner une justification plausible quant à mes actes surnaturels. Peut-être suis-je seulement un monstre de la nature ? Difficile à dire. Tout ce que je sais c’est que je ne tiens pas à en parler à qui que ce soit. Il vaut mieux se retrouver seul mais en liberté qu’interné avec tout un tas de malades mentaux. Jusqu’ici, mes pouvoirs se sont manifestés uniquement par « vagues ». Si le terme est approprié. Ce dont je n’ai pas conscience est que j’en possède plusieurs. Un de base, et plusieurs qui pourront potentiellement être développés au fur et à mesure de mon apprentissage.
En voici la liste dont j'ai trouvé la définition dans un vieux bouquin poussiéreux :
- Le don de pyrokinésie : pouvoir permettant de contrôler le feu par la pensée.
- Le don de désoxygénation : capacité à embraser l'air environnant en un simple mouvement des mains. Les personnes alentours commencent à s'étouffer pouvant aller jusqu'à tomber dans l'inconscience.
- Le don d'embrasement : capacité à embraser les poumons d'une cible en un baiser, permettant de provoquer de grave dégât voire la mort.
- Le don d'ébullition : capacité à faire bouillir l'eau. Ce pouvoir peut aller jusqu'à faire bouillir l'eau contenue dans le corps d'un individu lui infligeant des brûlures internes pouvant causer la mort.